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vladimir poutine - Page 5

  • Crise ukrainienne : la servilité de l'Union européenne...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la crise ukrainienne...

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    Crise ukrainienne : la servilité de l'Union européenne

    À en croire l’actualité ukrainienne, nous voilà revenus au « bon vieux temps » de la guerre froide, époque à laquelle tout était simple : les « gentils » d’un côté, les « méchants » de l’autre. L’histoire se répète ?

    L’histoire ne se répète jamais, mais il y a des constantes historiques. La tension entre la puissance de la Terre, représentée par le continent eurasiatique, et la puissance de la Mer, représentée par les États-Unis, en est une. Retour à la guerre froide ? Je dirais plutôt qu’elle n’a jamais cessé. La preuve en est que l’OTAN, qui aurait dû disparaître en même temps que le Pacte de Varsovie, s’est au contraire transformée en une machine de guerre américano-centrée à vocation planétaire. Dès la chute du mur de Berlin, elle n’a eu de cesse de s’implanter à l’Est, en violation flagrante des assurances données à Gorbatchev au moment de la réunification allemande. La crise ukrainienne s’inscrit dans ce contexte. Il s’agit, pour les Américains, d’être présents jusqu’aux frontières de la Russie – ce que celle-ci ne peut évidemment pas accepter. Vous imaginez les USA acceptant l’installation de bases russes au Mexique ?

    La nouveauté, c’est que l’Europe n’a même plus l’excuse de la « menace soviétique » pour justifier son atlantisme. La façon dont l’opinion publique est systématiquement désinformée à propos de l’Ukraine atteste de l’état de servilité dans lequel l’Union européenne est tombée. Le gouvernement issu du coup d’État de la place Maïdan envoie ses bombardiers et ses blindés tirer sur les « séparatistes » russophones, la guerre civile a déjà fait 2.500 morts, et ceux-là mêmes qui accusaient hier Bachar el-Assad de « massacrer son propre peuple » applaudissent des deux mains (ou s’en foutent complètement).

    Quant aux nationalistes ukrainiens, dont les objectifs n’étaient pas méprisables, leurs erreurs d’analyse ont fait d’eux les dindons de la farce. En s’engageant les armes à la main contre leurs compatriotes, ils n’ont obtenu le départ d’un oligarque pro-russe que pour l’échanger contre un oligarque encore plus corrompu, un roi du chocolat aux ordres de Washington et de l’Union européenne, qui compte sur les Occidentaux pour sauver de la faillite une Ukraine désormais retombée au niveau d’un pays du tiers monde. Ce qui revient à dire qu’ils sont tombés de Charybde en Scylla.

    La vérité est qu’il n’y a pas de solution militaire à la crise ukrainienne. Et que cette crise est gravissime. Si Kiev n’accepte pas d’instaurer un système fédéral permettant à chacune des composantes du pays, à commencer par le Donbass, de bénéficier de son autonomie, la guerre civile va s’étendre et l’Ukraine se brisera en deux, sinon en trois. La Russie pourra alors moins que jamais rester inerte. Or, comme l’a dit ici même Dominique Jamet, une confrontation armée entre le Kremlin et une Ukraine devenue membre de l’OTAN est de nature à dégénérer en troisième guerre mondiale. Les Américains ne peuvent pas ne pas en être conscients. Faut-il alors penser que c’est ce qu’ils recherchent ?

    Vladimir Poutine expliquait récemment que la grande faute de l’Occident a été d’avoir obligé l’Ukraine à choisir entre l’Est et l’Ouest, alors que la vocation naturelle de ce pays était plutôt d’établir un « pont » entre eux. Paroles de bon sens ?

    Bien entendu, mais il y a bien d’autres frontières qui peuvent servir de « pont » (on aurait pu dire la même chose à propos de l’Alsace-Lorraine, ce qui n’a pas empêché la Première Guerre mondiale d’éclater). En 1823, les États-Unis se sont dotés de la doctrine Monroe, qui interdit toute intervention étrangère dans leur zone d’influence. Le drame de l’Europe est qu’elle n’a pas de doctrine Monroe. Alors qu’elle est fondamentalement complémentaire de la Russie, elle s’inféode chaque jour un peu plus à Washington. Oubliée l’« Europe européenne », il n’y a désormais plus qu’un couple euro-américain sans aucune vision stratégique de ses intérêts, et dont le leadership de Washington constitue le plus petit dénominateur commun. Ne se faisant visiblement plus d’illusions sur les Européens, Poutine, de son côté, se tourne vers la Chine et vers les BRICS. Qui sait que, dans les semaines qui viennent, l’Inde, le Pakistan, l’Iran et la Mongolie vont devenir membres à part entière de l’Organisation de coopération de Shanghai, qui réunit déjà la Russie, la Chine, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Kirghizistan, soit plus de trois milliards d’habitants ?

    En dépit de la propagande médiatique, Poutine conserve en France un indéniable capital de sympathie, tant à droite qu’à gauche d’ailleurs. Êtes-vous de ceux qui voient en lui un « sauveur », dont il faudrait suivre l’exemple ?

    Pas plus que je ne suis de ceux qui le jugent avec des formules toutes faites qui ne reflètent jamais que leur ignorance (« nouveau tsar », « ancien kagébiste », « dictateur rouge-brun », etc.), je ne suis un poutinolâtre. Vladimir Poutine n’a certainement pas que des qualités. Sa politique intérieure, ses méthodes de gouvernement peuvent sans doute être critiquées. Il y aussi, chez lui, une sorte d’indécision qui l’empêche de trancher clairement entre les différents clans qui le conseillent. Mais il n’en est pas moins évident que c’est un grand, sinon un très grand chef d’État – l’un des seuls qui existent aujourd’hui. Fort d’un taux de popularité qui excède aujourd’hui 90 %, il a remis la Russie sur ses rails, et aspire à lui rendre le rang qui lui revient. Il veut que cette Russie soit fidèle à son histoire et pense que son peuple mérite d’avoir un destin. C’est déjà énorme. Le simple fait que les États-Unis voient en lui l’obstacle n° 1 à l’instauration du nouvel ordre mondial qu’ils veulent imposer justifie à lui seul qu’on lui apporte un soutien mérité. Car ce contre quoi il se dresse nous menace aussi. Ici et maintenant.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 24 septembre 2014)

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  • Poutine ou le Maître de la Parole...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte remarquable de Philippe-Joseph Salazar, cueilli sur le site Les Influences et consacré à Vladimir Poutine et à sa parfaite maîtrise de la parole dans la conduite de la crise ukrainienne. Philippe-Joseph Salazar est philosophe et spécialiste de la rhétorique.

     

    Poutine conférence de presse.jpg

    Poutine ou le Maître de la Parole

    On se souvient de la phrase du philosophe allemand Hegel, le génial auteur de la Phénoménologie de l’Esprit, quand il vit Napoléon passer sous sa fenêtre, en octobre 1806 : « J’ai vu l’âme du monde à la manœuvre » [1]. Eh bien, voilà un mois en écoutant Vladimir Poutine s’adresser à la Diète fédérale russe, lors de la réincorporation des terres irrédentes de Crimée à la Mère Patrie Russe, j’ai entendu parler l’âme du monde. J’ai entendu, et vu, la plus puissante des paroles se déployer, avec une telle sûreté de ton, une telle acuité d’arguments, une telle saisie du moment qu’une autre phrase de Hegel m’est venue naturellement aux lèvres : Poutine explique la politique « comme l’oiseau de Minerve qui prend son vol à la nuit tombée », pour mieux saisir sur le vif ceux qui n’y voient goutte, qui sont dans la nuit de leurs idées toutes faites, et ne savent plus ni parler, ni écouter – je veux dire « l’Ouest » comme le disent les médias, ces perroquets câblés.

    Vladimir Poutine, âme du monde ? Ça mérite une explication. Maître absolu de la parole ? Ça mérite une analyse.

    Depuis l’Irak et l’Afghanistan les directeurs de la communication des Etats-Unis et de l’OTAN ont mis au point une technologie rhétorique dite de « stratcomm », « communication stratégique », d’une simplicité qui s’est voulu génialement opérationnelle (ça tient sur une carte qu’on met dans la besace du trouffion, littéralement) et qui s’est révélée accablante d’efficacité, comme on le sait. Le spectacle désolant qu’offrent ces deux pays, jadis féodaux mais en paix, désormais féodaux mais en guerre, suffit à démontrer la terrible stupidité de la « stratcomm ». La stratcomm est supposée suppléer à la force brutale par l’influence persuasive, en alimentant le discours public et la propagande à coups de mots simples comme « stabilité, paix, prospérité » [2].

    Dans le cas de l’Ukraine le mot clef, dès que l’Union Européenne, les Etats-Unis et l’OTAN ont mis le doigt dans l’engrenage, a été « désescalade ». Il faut « désescalader » ont répété les perroquets et les perruches médiatiques.

    Le terme est codé : il implique que l’adversaire a « escaladé » ; en bon français (mais qui s’en soucie) le mot est très récent (1970) et il est militaire : « Ensemble d’opérations stratégiques visant à diminuer ou à supprimer la gravité des mesures militaires » [3]. On a bien lu : « mesures militaires ». Dans ce langage codé que parlent entre eux les services secrets, qui manipulent les médias en usant d’honorables correspondants, ou en plantant des infos sur les fameux réseaux sociaux, et les services de communication/propagande, le concept est militaire. Dire « désescalade » c’est déjà accuser la Russie d’avoir « escaladé ».

    Qu’a fait Vladimir Poutine. Rien. Il a laissé dire. Sachant que s’il dit le mot, il est pris au piège.

    Quel piège ? Celui-ci : le problème, avec le langage de la stracomm, c’est qu’il faut que l’adversaire le parle aussi. En philo on appelle ça le « différend » : vous m’accusez de ceci, et vous voulez que j’utilise pour me défendre les mots que vous employez pour m’accuser ? Le piège est grossier ! Car me défendre avec les termes que vous employez, c’est déjà accepter que c’est vous qui définissez le cadre de ma défense. Je suis cuit. Allez au diable ! Je « diffère » [4], et je dis autrement.

    Un autre terme a donc été lancé par les services de stratcomm de l’OTAN et Cie, pour tenter de cerner et donc de cataloguer les récusants russophones d’abord de Crimée et depuis des régions frontalières orientales : ils ont été « radicalisés ». Les protestataires (on ne dit pas qu’ils sont des agents russes, ce qui est aussi difficile à prouver que de démontrer qu’à chaque fois qu’un chef de la CIA vient à Kiev, deux jours plus tard, comme par miracle, les Ukrainiens ont une poussée d’adrénaline et de frais uniformes), les protestataires, donc, sont « radicalisés ».

    Ce terme est apparu lors de l’attentat de Boston par les frères Tsarnaev. « Ces jeunes gens ont été radicalisés » jacassait la presse américaine, aussitôt relayée par les médias français, jamais en retard d’une attrape. Or le terme est toujours employé à la voix passive : « ils ont été radicalisés », pas « ils se sont radicalisés » . Il existe un « par », un agent qui radicalise. Ici : la Russie, bien sûr [5].

    Ce qui est intéressant est que, devant la faillite rhétorique de « désescalade/escalade », la stratcomm a tenté de lancer « radicalisation ». Mais, derechef, bec dans l’eau. Vladimir Poutine (et à faire pâlir d’envie le Quai d’Orsay, ce grand diplomate à la Metternich ou à la Kissinger, M. Lavrov), à la manœuvre, a fait comme si rien n’avait été dit. Il a ignoré. Magistral.

    On va me dire : tout cela est un langage entre eux, nous, les péquins, on s’en tamponne le château arrière comme le déclama un jour Régine Crespin, sur la scène du Châtelet, dans son immortelle Grande Duchesse de Gérolstein. Or justement, la réplique de Vladimir Poutine à cette ligne de stratcomm a été de réduire l’OTAN, et les bavards de Bruxelles, non loin du GQG, à n’être que des grandes duchesses d’opérette. Il a simplement ignoré le mot, et donc mis de côté l’implication.

    C’est alors que Poutine a retourné contre la communication « occidentale » sa propre méthode, à la stupéfaction des commentateurs américains depuis dix jours (Wall Street Journal, Reuters). Par exemple, il a ré-expédié à « l’Ouest » un autre terme clef de la stratcomm : « faire la guerre contre son propre peuple ».

    De fait, dans l’arsenal rhétorique de la bienfaisance militaire occidentale, « to wage war against your own people », « faire la guerre contre votre propre peuple », a été l’expression clef, la litanie médiatique issue du glossaire américain de la stratcomm, pour justifier l’invasion de l’Iraq, l’intervention en Lybie et l’appui donné à la rébellion en Syrie : « Assad/Yanoukovitch, si vous faites la guerre contre votre propre peuple, alors nous, qui sommes les représentants de la démocratie, c’est à dire, du droit des peuples, nous avons le droit d’intervenir, car ce droit est moral ». Certes, mais encore ?

    Vladimir Poutine a retourné l’expression. Les putschistes en place à Kiev « font la guerre à leur propre peuple ». Donc la Russie endosse le manteau dont s’est drapé jusque là « l’Ouest », pour venir à la défense des opprimés.

    Du coup soudain, la chandelle est soufflée, et on n’entend plus l’expression naguère favorite de M. Obama. Lequel, par une de ces bévues dont il parsème ses discours quand il se prend lui-même dans les réticules séduisants de sa propre éloquence, a nommé la Russie : « Une puissance régionale ». Je suppose que ça a dû plaire à son auditoire américain, très cultivé, mais il suffit de regarder une mappemonde pour voir que ladite région, ma foi … Vladimir Poutine n’a de nouveau rien répliqué. Il laisse dire. Il ne pratique pas le jeu psychanalytique du fort-da, du tu me donnes, je te prends, je t’envoie, tu me renvoies, qui, chez Freud, est une marque d’infantilisme.

    Quand on a rétabli les armoiries de la Russie impériale sur son drapeau, qu’on prépare un grandiose défilé militaire célébrant la victoire de l’Armée rouge sur l’Allemagne, qu’on méprise les fameuses sanctions comme un pauvre arsenal de boutiquier capitaliste, s’entendre dire que son empire, qui va de l’ancienne capitale Teutonique et prussienne de Königsberg à Vladivostok, on ne peut que sourire et laisser dire.

    La maladie infantile du néo-capitalisme communicationnel est la fièvre de la réponse instantanée, de la re-réponse, de la re-re-réponse. Je ne vais pas vous faire un dessin. Voyez internet.

    Laisser dire, un grand art. A « l’Ouest » règne l’irrépressible désir de parler, toujours, encore, et plus. De Russie, qui est aussi occidentale que nous le sommes, on mesure ses mots, comme à la manœuvre. Car, une des forces de la machine rhétorique de M. Poutine, est sa capacité à ne parler le langage de l’adversaire quand ça lui sert, et à ne rien rétorquer quand ça ne lui sert pas.

    Car l’art du pouvoir exige le silence, la réponse mesurée à l’effet à obtenir, ce contrôle exigeant de soi-même à ne pas parler. A attendre. Et à frapper.

    Dans la saga tragicomique et saignante de l’Ukraine, une vraie pièce d’Alfred Jarry, tout le monde est là à parler, à s’époumoner, à vitupérer, à baragouiner dans un anglais de bastringue (je recommande les débats désopilants sur France24 où des experts français bafouillent dans un anglais d’Auvergnat devant des Ukrainiens d’opéra-bouffe, sous l’œil ironique du très patient M. Picard), évidemment afin de satisfaire les médias – tandis que Vladimir Poutine, maître de la parole, calibre chaque conférence de presse, juge exactement du timing d’un communiqué, prend à chaque fois l’ « Ouest » au dépourvu, et simplement impose son rythme, son calendrier, sa marche, sa « manœuvre » en un mot.

    Vladimir Poutine est donc l’âme du monde, au sens exact du « monde » dont il s’agit ici, le monde du politique, et au sens exact où « âme » signifie principe – Vladimir Poutine nous donne à voir ce que nous vîmes jadis à l’œuvre avec le Général, quand la France comprenait ce qu’est la puissance : la politique comme principe vital du monde où nous vivons, et la parole politique comme mesure de l’action à entreprendre.

    Et l’âme, bien sûr, c’est aussi là où se loge, dans un fusil, la balle.

    Philippe-Joseph Salazar (Les influences,  6 mai 2014)

     

    Notes :

    [1On traduit toujours mal cette phrase en français (« j’ai vu Napoléon passer à cheval », pourquoi pas en patinette ?) car, dans l’allemand de haute précision de Hegel, elle est terrible, et le mot clef y est « recogniziert » : Napoléon est là, dans une manœuvre de reconnaissance du terrain. Relisez cette phrase hautaine et décisive, où la langue ennemie devient presque du latin cicéronien : « Den Kaiser – diese Weltseele – sah ich durch die Stadt zum rekognoszieren hinausreiten ».

    [3Trésor de la langue française, en ligne.

    [4Tout ça, of course, dans Lyotard.

    [5Dans l’attentat des Tsarnaev, les services de sécurité, incapables et d’avoir prévu et d’expliquer si/comment/pourquoi/avec qui, ont lancé dans la presse l’expression « self-radicalized », auto-radicalisés – ce qui était une manière de dire : nous n’avons pas à chercher plus loin qu’eux. La propagande n’a pas pris : les médias ont laissé tomber car un terroriste auto-radicalisé ne fournit par une « histoire » avec des complices, des réseaux, des épisodes, bref du tirage.

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  • Sur la naissance des républiques...

    Les éditions Perspectives libres viennent de publier un essai de Yannick Jaffré intitulé Vladimir Bonaparte Poutine - Essai sur la naissance des républiques. Yannick Jaffré est professeur agrégé de philosophie et fait partie du collectif Racine qui regroupe des enseignants soucieux du redressement de l'école...

     

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    " Comme Bonaparte prit le pouvoir alors que les souvenirs de la Terreur étaient encore vifs, pour en empêcher le retour par l’ordre, et mettre fin surtout à la ploutocratie directoriale qui lui avait succédé, Poutine rétablit dans sa liberté une nation qui, ayant connu le plus durable des systèmes totalitaires, fut livrée après qu’il s’était lentement – et heureusement – amolli, à tous les désordres, violences, injustices que provoque inévitablement le consensus néolibéral de Washington.

    Toute la politique de Poutine possède une grande force démonstrative. Yannick Jaffré en parcourt le détail. Au bout de l’enquête, on comprend que les accusations qu’elles lancent contre Poutine se retournent cruellement contre les « élites » politico-médiatiques françaises, européennes, occidentales. Elles le dépeignent en autocrate, il jouit d’une légitimité qu’elles ont perdue en passant le plus clair de leur temps à mépriser le sentiment populaire. Elles consomment confortablement des institutions qu’elles n’ont pas eu à fonder, Poutine fut l’accoucheur d’un ordre républicain né dans les convulsions. Elles jugent cet ordre trop peu démocratique, représentatif et libéral, sans comprendre qu’il n’est de république possible en Russie que présidentialiste, autoritaire et légaliste. Elles ignorent donc l’histoire, Poutine la connaît et la fait. Elles brandissent les droits-de-l’homme à la face de la Russie alors que, loin d’y être plus bafoués qu’en Occident, ils n’y deviennent pas fous comme en France où, sortant de leur lit, ils autorisent tout et, logiquement, n’importe quoi. Elles vendent le parc industriel de leur pays à des capitaux erratiques ou politiquement dangereux comme ceux du Qatar, Poutine sédentarise autant qu’il est en son pouvoir les richesses russes, et favorise par là le développement d’une classe moyenne patriote. Il mène enfin contre les aventures atlantistes une politique de souveraineté rationnelle.

     

    Yannick Jaffré puise au meilleur de la philosophie politique pour nous faire suivre les étapes de ce retour russe. Pratiquant un billard à trois bandes historiques, il confronte la Russie de Poutine, le Consulat et la France contemporaine. Il en sort une grande leçon de politique qui dessine en même temps une espérance pour la France. "

     

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  • Vers un nouvel équilibre mondial...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue de Jean-Paul Baquiast et de François Vadrot, cueilli sur Europe solidaire et consacré à l'émergence d'un nouvel équilibre mondial et au rôle que pourrait jouer l'Europe si les pays qui la composent avaient à leur tête de véritables hommes d'état.Jean-Paul Baquiast est l'animateur du site Europe solidaire, ainsi que du remarquable site d'actualité technoscientifique Automates intelligents.

     

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    Effondrement prévisible des Etats-Unis et reconfiguration de l'équilibre mondial

    On peut pronostiquer que nous sommes à la veille d'un effondrement partiel voire total des Etats-Unis. Le pronostic est encore peu partagé, tout au moins dans les opinions dites occidentales. Néanmoins tout ceux qui nourrissent des projets économiques ou politiques devraient y porter la plus grande attention. Il est difficile de préciser la date à laquelle cet effondrement se produirait: d'ici un an ou 5 ans. Mais très certainement pas 10 ou 20 ans, vu l'accélération de l'histoire.

    Les Etats-Unis courent à l'effondrement du fait de faiblesses internes de plus en plus évidentes. Nous ne les énumérerons pas dans cet article. Mais la raison principale de cet effondrement est qu'ils adoptent une posture internationale de plus en plus agressive. Ceci en dépit et peut-être à cause de ces perspectives d'effondrement. Ces agressions croissantes vont provoquer contre eux une véritable coalition des autres puissances mondiales. Une telle coalition ne fera pas l'objet, sauf exceptionnellement, d'alliances diplomatique, telle la Triple Alliance célèbre dans l'Histoire. Elle résultera de rapprochements initialement fortuits d'Etats de plus en plus inquiets des conflits locaux, voire des risque de guerre généralisée, provoqués par une diplomatie américaine toujours aussi impérialiste, d'autant plus impérialiste d'ailleurs que s'accumulent les difficultés du pays.

    Pour que cependant se produise la réorganisation du monde mentionnée dans le titre, il faudra que s'esquissent spontanément de nouvelles structures. On pourrait évoquer le concept de monde multipolaire, mais il n'a pas de sens précis, à moins de désigner une simple anarchie.  On ne parlera pas non plus d'un monde bipolaire résultant d'une opposition entre Amérique et Russie, celle-ci ne cherchant pas dorénavant, comme nous le verrons, à réendosser le rôle joué par l'URSS avant sa chute, face à l'Amérique.

    Certes, des pôles doivent émerger, en substitution du monde monopolaire formé par les Etats-Unis et les pays sous leur influence. L'importance croissante de la Chine et de l'Inde, forte chacune de plus d'un milliard de citoyens, en fera nécessairement deux des pôles du futur monde multipolaire. Mais ceci ne devrait pas suffire à provoquer une véritable réorganisation. Une réorganisation supposerait plus que des pôles nouveaux. Elle supposerait des lignes de structuration nouvelles.

    Dans les prochaines décennies, le monde subira des changements pouvant être bénéfiques, mais dont la plupart seront liés à des catastrophes, réchauffement climatique, surpopulation, migrations massives, résurgence des guerres de religion...Ces phénomènes entraineront une instabilité généralisé et sans doute une angoisse profonde, analogue à celle ayant accompagné les épidémies de peste du Moyen-Age. De nouvelles lignes de fractures en résulteront. Aucun continent ne pourra rester à l'écart de ce phénomène. Mais corrélativement, de nouvelles lignes de recomposition ou de refondation en découleront, car les sociétés ne résisteraient pas à une déstabilisation permanente.

    Dans beaucoup de cas, il pourra s'agir d'un effort pour conserver ou retrouver les traditions et les valeurs des sociétés menacées, y compris à travers les révolutions technologiques et scientifiques.. Des aires géographiques nouvelles se construiront, autour des héritages linguistiques, culturels et plus largement civilisationnels.

    La Russie nouvelle

    Or il est tout à fait possible de supputer que la Russie, dirigée par des hommes aussi énergiques et prudents que se révèle être Vladimir Poutine, sera l'une de ces aires géographiques. Certes, elle souffrira d'un certain nombre de handicaps, mais ceux-ci ne seront pas supérieurs à ceux affectant la Chine, l'Inde et a fortiori des Etats-Unis en voie d'effondrement. Qu'en sera-t-il de l'Europe?

    Si celle-ci ne se débarrasse pas rapidement des liens de sujétion imposés par l'Amérique après la seconde guerre mondiale, elle suivra celle-ci dans sa chute. Les atouts de puissance qu'elle conserve encore ne la sauveront pas. Ils seront rendus inefficaces par une Amérique ne voulant pas que l'Europe lui dispute la direction du monde dit occidental. Pour recouvrer son indépendance et sa souveraineté, l'Europe devra donc cesser, précisément, de se revendiquer comme occidentale. Ce terme désigne en effet l'ensemble formé par l'Amérique et des Etats vassaux, embrigadés dans l'Otan et englués au sein d'une Union européenne que phagocytent quotidiennement les influences dites atlantistes.

    L'Europe devra dorénavant se revendiquer comme européenne au sens historique du terme, c'est-à-dire incluant la Russie. Nous avons ici dans des articles précédents, montré l'intérêt que présenterait pour chacune des partenaires une alliance euro-russe. Il ne s'agirait évidemment pas d'une fusion, mais de la mise en commun d'atouts complémentaires. Dans une telle alliance, l'Europe apporterait, outre une puissance économique ne demandant qu'à être relancée, des traditions dites démocratiques que la Russie ne manquerait pas, avec un peu de temps, d'adopter.

    Mais pour bâtir une alliance euro-russe, il faut être deux. Nous pensons que Poutine et le gouvernement russe, s'ils pouvaient être convaincus que l'Europe ne serait plus le faux nez de l'Amérique et de l'Otan, joueraient à fond cette carte de développement. Mais qu'en serait-il des gouvernements européens, composés de véritables ectoplasmes sans la moindre vision stratégique en propre. Ils n'attendent pour agir, comme l'a montré l'affaire ukrainienne, que les instructions de sous-fifres américains tels John Kerry et Jo Biden.

    S'il se trouvait en Europe quelques chefs d'Etat de la trempe de Vladimir Poutine, y compris avec les prétendus défauts que la propagande occidentale lui prête, alors l'Europe pourrait, en marge de l'effondrement prévisible des Etats-Unis, jouer avec la Russie un rôle digne des qualités de ses populations dans la reconfiguration de l'équilibre mondial. Si cela ne pouvait être l'Union européenne dans ses institutions actuelles, il pourrait s'agir de quelques pays volontaristes s'alliant en ce sens.

    De tels chefs d'Etat potentiels ne sont pas visibles aujourd'hui. Mais en cas de crise, les hommes nécessaires apparaissent sans prévenir. Souvenons nous pour ce qui nous concerne de Charles de Gaulle en 1940.

    Jean-Paul Baquiast et François Vadrot (Europe solidaire, 21 mars 2014)

     

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  • La fin de la guerre froide n'a jamais eu lieu...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte d'Alain de Benoist, cueilli sur le blog de la revue Eléments et consacré à la crise ukrainienne.

    Alain de Benoist a publié en fin d'année 2013 aux éditions Pierre-Guillaume de Roux un essai intitulé Les démons du Bien. Il vient également de publier aux éditions Mordicus un court essai polémique intitulé Non à la théorie du genre ! .

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    Ukraine : la fin de la guerre froide n'a jamais eu lieu

    1- L’affaire ukrainienne est une affaire complexe et aussi une affaire grave (à une autre époque et en d’autres circonstances, elle aurait très bien pu donner lieu à une guerre régionale, voire mondiale). Sa complexité résulte du fait que les données dont on dispose peuvent amener à porter sur elle des jugements contradictoires. En pareille circonstance, il faut donc déterminer ce qui est essentiel et ce qui est secondaire. Ce qui est essentiel pour moi est le rapport de forces existant à l’échelle mondiale entre les partisans d’un monde multipolaire, dont je fais partie, et ceux qui souhaitent ou acceptent un monde unipolaire soumis à l’idéologie dominante que représente le capitalisme libéral. Dans une telle perspective, tout ce qui contribue à diminuer l’emprise américano-occidentale sur le monde est une bonne chose, tout ce qui tend à l’augmenter en est une mauvaise.

     

    L’Europe ayant aujourd’hui abandonné toute volonté de puissance et d’indépendance, c’est de toute évidence la Russie qui constitue désormais la principale puissance alternative à l’hégémonisme américain, sinon à l’idéologie dominante dont l’Occident libéral est le principal vecteur. L’« ennemi principal » est donc à l’Ouest.

    Je n’éprouve pour autant aucune sympathie pour le président ukrainien déchu. Yanoukovitch était de toute évidence un personnage détestable, en même temps qu’un autocrate profondément corrompu. Poutine lui-même a fini par s’en rendre compte – un peu tard, il est vrai. Je ne suis pas non plus un inconditionnel de Vladimir Poutine, qui est de toute évidence un grand homme d’Etat, très supérieur à ses homologues européens et américains, et aussi un praticien averti des arts martiaux acquis aux principes du réalisme politique, mais qui est aussi beaucoup plus un pragmatique qu’un « idéologue ». Cela ne change rien au fait que, pour autant qu’on puisse en juger aujourd’hui, la « révolution de Kiev » a servi avant tout les intérêts américains.

    J’ignore si les Américains ont inspiré, voire financé cette « révolution » comme ils avaient déjà inspiré et financé les précédentes « révolution colorées » (Ukraine, Géorgie, Kirghizistan, etc.), en cherchant à canaliser des mécontentements populaires souvent justifiés pour intégrer les peuples dans l’orbite économique et militaire occidentale. Le fait est, en tout cas, qu’ils l’ont soutenue dès le départ sans aucune ambiguïté. Le nouveau Premier ministre ukrainien, l’économiste et avocat milliardaire Arseni Yatseniouk, qui n’avait obtenu que 6,9 % des voix à l’élection présidentielle de 2010, s’est d’ailleurs tout de suite précipité à Washington où Barack Obama l’a reçu dans le Bureau Ovale, honneur généralement réservé aux chefs d’Etat. Sauf retournement imprévisible, les événements qui ont abouti à l’éviction brutale du chef de l’Etat ukrainien à la suite des manifestations de la place Maïdan, ne peuvent donc pas être considérés comme une bonne chose par tous ceux qui luttent contre l’hégémonie mondiale des Etats-Unis.

    2- On parle partout d’un « retour à la guerre froide ». Il faudrait plutôt se demander si elle a jamais pris fin. A l’époque de l’Union soviétique, les Américains développaient déjà une politique qui, sous couvert d’anticommunisme, était fondamentalement antirusse. La fin du système soviétique n’a rien changé aux données fondamentales de la géopolitique. Elles les a au contraire rendu plus évidentes. Depuis 1945, les Etats-Unis ont toujours cherché à empêcher l’émergence d’une puissance concurrente dans le monde. L’Union européenne étant réduite à l’impuissance et à la paralysie, ils n’ont jamais cessé de voir dans la Russie une menace potentielle pour leurs intérêts. Au moment de la réunification allemande, ils s’étaient solennellement engagés à ne pas chercher à étendre l’OTAN dans les pays de l’Est. Ils mentaient. L’OTAN, qui aurait dû disparaître en même temps que le Pacte du Varsovie, a non seulement été maintenu, mais il s’est étendu à la Pologne, à la Slovaquie, à la Hongrie, à la Roumanie, à la Bulgarie, à la Lituanie, à la Lettonie et à l’Estonie, c’est-à-dire jusqu’aux frontières de la Russie. L’objectif est toujours le même : affaiblir et encercler la Russie en déstabilisant ou en prenant le contrôle de ses voisins.

    Toute l’action des Etats-Unis vise ainsi à empêcher la formation d’un grand « bloc continental » en persuadant les Européens que leurs intérêts sont contraires à ceux de la Russie, alors qu’ils sont en réalité parfaitement complémentaires. Telle est la raison pour laquelle l’« intégrité territoriale » de l’Ukraine leur importe plus que l’intégrité historique de la Russie. « Revenir à la guerre froide », pour les Américains, c’est revenir aux conditions les plus propices à la mise en sujétion de l’Europe par Washington. Le projet de « grand marché transatlantique » actuellement en cours de négociation entre l’Union européenne et les Etats-Unis va également dans ce sens.

    3- La complication vient du caractère hétérogène de l’opposition à Yanoukovitch. La presse occidentale a généralement présenté cette opposition comme « pro-européenne », ce qui est un mensonge évident. Parmi les opposants à l’ancien président ukrainien, on trouve en réalité deux tendances totalement opposées : d’un côté ceux qui veulent effectivement se lier étroitement à l’Occident et rêvent d’intégrer l’OTAN sous parapluie américain, de l’autre ceux qui aspirent à une « Ukraine ukrainienne » indépendante de Moscou comme de Washington ou de Bruxelles. Le seul point commun de ces deux tendances est leur allergie totale à la Russie. Les manifestations de la place Maïdan ont donc d’abord été des manifestations antirusses, et c’est en tant que « président pro-russe » que Yanoukovitch a été destitué.

    Les nationalistes ukrainiens, regroupés dans des mouvements comme « Svoboda » ou « Secteur droite » (Pravy Sektory), sont régulièrement présentés dans la presse comme des extrémistes et des nostalgiques du nazisme. Comme je ne les connais pas, j’ignore si c’est vrai. Certains d’entre eux semblent bien être les tenants d’un ultra-nationalisme convulsif et haineux que j’exècre. Mais il n’est pas évident que tous les Ukrainiens désireux d’indépendance vis-à-vis de la Russie comme des Etats-Unis partagent les mêmes sentiments. Beaucoup d’entre eux ont lutté sur la place Maïdan, sans avoir le sentiment d’être manipulés,  avec un courage qui mérite le respect. Toute la question est de savoir s’ils ne seront pas dépossédés de leur victoire par une « révolution » dont l’effet principal aura été de remplacer le « grand frère russe » par le Big Brother américain.

    4- En ce qui concerne la Crimée, les choses sont à la fois plus claires et plus simples. Depuis au moins quatre siècles, la Crimée est un territoire russe peuplé essentiellement de populations russes. Elle abrite aussi la flotte russe, Sébastopol constituant le point d’accès de la Russie aux « mers chaudes ». S’imaginer que Poutine pourrait tolérer que l’OTAN prenne le contrôle de cette région est évidemment impensable. Mais il n’a pas eu besoin d’agir en ce sens, puisque lors du référendum du 16 mars, près des 97 % des habitants de la Crimée ont exprimé sans équivoque leur désir d’être rattachés à la Russie, ou plus exactement d’y revenir, puisqu’ils en avaient été coupés arbitrairement en 1954 par une décision de l’Ukrainien Nikita Khrouchtchev. Cette décision d’attribuer administrativement la Crimée à l’Ukraine s’était faite à l’époque dans le cadre de l’Union soviétique – elle était donc sans grandes conséquences – et sans aucune consultation de la population concernée. L’ampleur du vote du 16 mars, doublée d’un taux de participation de 80 %, ne laisse aucun doute sur la volonté du peuple de Crimée.

    Parler dans ces conditions d’un « Anschluss » de la Crimée, faire la comparaison avec les interventions de l’URSS en Hongrie (1956) ou en Tchécoslovaquie (1968), est donc tout simplement ridicule. Dénoncer ce référendum comme « illégal » l’est plus encore. La « révolution » du 21 février a en effet mis un terme à l’ordre constitutionnel ukrainien, puisqu’elle a substitué un pouvoir de fait à un président régulièrement élu, ce qui a entraîné la dissolution de la Cour constitutionnelle ukrainienne. C’est d’ailleurs pour cette raison que les dirigeants de la Crimée, estimant que les droits de cette région autonome n’étaient plus garantis, ont décidé d’organiser un référendum sur son avenir. On ne peut à la fois reconnaître un pouvoir né d’une rupture de l’ordre constitutionnel, qui libère tous les acteurs de la société de leurs contraintes constitutionnelles, et en même temps se référer à ce même ordre constitutionnel pour déclarer « illégal » le référendum en question. Vieil adage latin : Nemo auditur propriam turpitudinem allegans (« Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude »).

    En apportant dès le 21 février dernier leur appui à un nouveau gouvernement ukrainien directement issu d’un coup d’Etat, les Américains ont par ailleurs démontré que leur souci de « légalité » est tout relatif. En agressant la Serbie, en bombardant Belgrade, en soutenant en 2008 la sécession et l’indépendance du Kosovo, en déclarant la guerre à l’Irak, à l’Afghanistan ou à la Libye, ils ont aussi montré le peu de cas qu’ils font du droit international, comme d’un principe d’« intangibilité des frontières » qu’ils n’invoquent que lorsque cela les arrange. Au demeurant, les Etats-Unis semblent avoir oublié que leur propre pays est né d’une sécession vis-à-vis de l’Angleterre… et que le rattachement de Hawaï aux Etats-Unis, en 1959, ne fut autorisé par aucun traité.

    Les dirigeants européens et américains, qui s’arrogent la qualité de seuls représentants de la « communauté internationale », n’ont pas contesté le référendum qui, voici quelques années, a séparé l’île de Mayotte des Comores pour la rattacher à la France. Ils admettent qu’en septembre prochain les Ecossais pourront se prononcer par référendum sur une éventuelle indépendance de l’Ecosse. Pourquoi les habitants de la Crimée n’auraient-ils les mêmes droits que les Ecossais ? Les commentaires des dirigeants européens et américains sur le caractère « illégal et illégitime » du référendum de Crimée montrent seulement qu’ils n’ont rien compris à la nature de ce vote, et qu’ils refusent de reconnaître à la fois le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et la souveraineté du peuple qui est le fondement de la démocratie.

    5- Quant aux menaces de « sanctions » économiques et financières brandies par les Occidentaux contre la Russie, elles prêtent à sourire, et Poutine n’a pas eu tort de dire ouvertement combien elles l’indiffèrent. Poutine sait que l’Union européenne n’a aucun pouvoir, aucune unité, aucune volonté. A juste raison, il n’accorde aucun crédit à des pays qui prétendent « défendre les droits de l’homme », mais ne peuvent se passer de l’argent des oligarques. Comme disait Bismarck : « La diplomatie sans les armes, c’est la musique sans les instruments ». Poutine sait que l’Europe est déliquescente, qu’elle n’est plus capable que de gesticulations et de provocations verbales, et que les Etats-Unis eux-mêmes la regardent comme quantité négligeable (« Fuck the European Union ! », comme disait Victoria Nuland). Il sait surtout que, s’ils voulaient vraiment « sanctionner » la Russie, les Occidentaux se sanctionneraient eux-mêmes, car ils s’exposeraient à des représailles de grande ampleur dont ils ne sont visiblement pas prêts à payer le prix. C’est la vieille histoire de l’arroseur arrosé.

    Il suffit de rappeler ici que le gaz et le pétrole russes représentent environ le tiers de l’approvisionnement énergétique des 28 pays de l’Union européenne, pour ne rien dire de l’ampleur des investissements européens, notamment allemands et britanniques, en Russie. On ne compte aujourd’hui pas moins de 6000 sociétés allemandes actives sur le marché russe. En France, le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius a menacé la Russie de ne pas lui livrer deux navires porte-hélicoptères de type « Mistral » actuellement en construction aux chantiers de Saint-Nazaire. Dans un pays où l’on compte déjà plus de cinq millions de chômeurs, la conséquence serait la perte de plusieurs milliers d’emplois… Quant aux Etats-Unis, s’ils cherchent à geler les actifs russes à l’étranger, ils s’exposent à voir en retour gelés le remboursement des crédits que les banques américaines ont accordés à des structures russes.

    L’Ukraine est aujourd’hui un pays ruiné. Elle aura le plus grand mal à se passer du soutien économique de la Russie et à remédier à la fermeture du marché de la CEI (la Russie représentait jusqu’à présent 20 % de ses exportations et 30 % de ses importations). On voit mal par ailleurs les Européens trouver les moyens de lui apporter une aide financière qu’ils ne veulent même plus accorder à la Grèce : compte tenu de la crise qu’elle traverse depuis 2008, l’Union européenne n’est tout simplement plus en mesure de débloquer des sommes de plusieurs milliards d’euros. En proie à leurs propres problèmes, à commencer par des déficits colossaux, les Etats-Unis voudront-ils soutenir l’Ukraine à bout de bras ? On peut en douter. Les chèques de Washington et du Fonds monétaire international (FMI) ne règleront pas les problèmes de l’Ukraine.

    6- L’avenir reste pour l’heure aussi incertain qu’inquiétant. L’affaire ukrainienne n’est pas finie, ne serait-ce que parce qu’on ne sait pas encore qui représente exactement le nouveau pouvoir ukrainien. Si l’Ukraine choisit de s’ancrer résolument à l’Ouest, la grande question est de savoir comment réagira la partie orientale de l’Ukraine, qui est à la fois la plus pro-russe et la plus industrialisée (la partie ouest ne représente que le tiers de la production du PIB). Comment la Russie pourrait-elle, de son côté, accepter qu’un gouvernement radicalement antirusse dirige un pays dont la moitié de la population est russe ? Toute tentative d’imposer une solution par la force risque d’aboutir à la guerre civile et en fin de compte à la partition d’un pays où les grandes lignes de partage politiques, linguistiques et religieuses, recoupent largement les lignes de partage territoriales. On verrait alors se reproduire le scénario qui a conduit à l’éclatement de l’ex-Yougoslavie.

    Dans l’immédiat, le risque le plus grand est celui d’un pourrissement de la situation à Kiev, accompagné d’une série d’initiatives irresponsables (création de milices, etc.) et d’incidents isolés qui dégénéreraient en montée aux extrêmes. Ni l’Europe ni la Russie (qui va maintenant renforcer son alliance militaire avec la Chine) n’y ont intérêt. De l’autre côté de l’Atlantique, en revanche, les partisans de la guerre ne manquent pas.

    7- Le déchaînement des médias occidentaux est révélateur de leur degré de soumission à Washington. Poutine est régulièrement décrit comme un « nouveau tsar », un « kagébiste », un « néo-soviétique », mais aussi un « fasciste » et un « rouge-brun », alors que ce n’est pas lui qui a déclenché la crise ukrainienne, et qu’il a plutôt fait preuve dans cette affaire d’une extraordinaire patience. La Russie est présentée, sinon comme une « dictature », alors qu’elle n’a jamais connu un tel degré de démocratie dans son histoire, du moins comme un régime « insuffisamment libéral », c’est-à-dire pas assez conforme aux exigences de la « société ouverte ». Mais, comme l’a très bien vu Henry Kissinger, « diaboliser Poutine n’est pas une politique, mais une manière de masquer une absence de politique ».

    Certes, comme je l’ai dit plus haut, il n’y a pas lieu de considérer Poutine comme un « sauveur » qui épargnerait aux Européens de prendre eux-mêmes en mains leur destin. L’Europe n’a pas pour vocation de constituer la branche occidentale d’un grand empire russe (l’idée d’empire n’est pas réductible à l’impérialisme). Elle a en revanche le devoir d’admettre la nécessité d’une alliance avec la Russie dans le grand projet collectif d’une logique continentale eurasiatique, ce qui est tout différent.

    La Russie, de son côté, aurait tout intérêt à admettre le pluralisme d’identités de ses voisins de l’« étranger proche ». La colère ukrainienne s’est nourrie d’une tendance russe à nier l’identité ukrainienne qui n’est pas imaginaire, même si elle a parfois été exagérée. On n’en serait sans doute pas arrivés là si la Russie avait traité l’Ukraine sur un pied d’égalité et de réciprocité. Dans une logique fédérale, les identités locales doivent être respectées tout autant que les droits des minorités. Les notions de décentralisation, d’autonomie et de régionalisme doivent entrer dans la culture politique russe, tout comme elles doivent entrer dans la culture politique ukrainienne, qui n’y est visiblement pas plus disposée (comme le montre l’incroyable décision du nouveau gouvernement ukrainien de dénier à la langue russe le statut de seconde langue officielle). La notion de zone d’influence a un sens, et ce sens doit être reconnu, mais les pays « satellites » doivent désormais céder la place à des pays partenaires et alliés. Comme l’a écrit le Croate Jure Vujic, le « projet géopolitique grand-européen eurasiste doit être avant tout un projet fédérateur, de coopération géopolitique, fondé sur le respect de tous les peuples européens et sur le principe de subsidiarité ».

    Alain de Benoist (Blog Éléments, 23 mars 2014)

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  • Le point de vue d'Alain de Benoist sur la Crimée...

    Alain de Benoist, directeur des revues Nouvelle Ecole et Krisis et éditorialiste de la revue Eléments, répond aux questions de la radio iranienne francophone, IRIB, à propos des réactions des Etats-Unis et de l'Union européenne  après la décision de Vladimir Poutine d'accepter l'entrée de la Crimée au sein de la Fédération de Russie.

     

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